Rencontre avec Philippe Sanchez, directeur de l’Iddac en Gironde
Accompagner le développement culturel en Gironde
L’IDDAC, agence culturelle du Département de la Gironde, a pour mission de contribuer au développement artistique et culturel de ce territoire de près de 10 000 km2 aux espaces multiples : des forêts des Landes de Gascogne à la métropole bordelaise, du littoral atlantique aux vignes de l’Entre-deux-Mers et du Libournais. Son directeur, philippe Sanchez parle de l’Iddac comme d’une boîte à outils qui intervient sur les aspects de création, de médiation et d’aide à la décision politique, principalement dans le domaine du spectacle vivant. Rencontre.
Quel regard portez-vous sur l’art et la culture en Gironde et plus spécifiquement en milieu rural ?
C’est une question compliquée… Ou simple ! Du point de vue des attentes des habitants, le degré d’exigence et de curiosité me paraît le même en ville et à la campagne. Cette dichotomie entre urbain et rural est un peu galvaudée à l’époque de la mondialisation, des réseaux, de la communication permanente. On peut être au fin fond de la campagne et avoir une extrême appétence pour la danse contemporaine de haut niveau, être sensible aux propositions artistiques.
Si la demande est la même, l’offre culturelle est souvent moins structurée et moins visible que sur une métropole. Pour autant, elle est compensée par une très forte activité bénévole et festivalière. Et par des artistes qui, de plus en plus, vivent sur les territoires et participent de la vie locale. Il faut aussi ajouter que la ruralité dans le département de la Gironde est très dense, très habitée.
Comment s’expriment l’art et la culture dans cette ruralité dense, très habitée, par rapport à la métropole bordelaise ?
Il n’y a quasiment pas de zone rurale au sens où l’entend la DATAR (1 habitation tous les 300 mètres). Ceci dit, il y a des paysages ruraux et le sentiment d’être en ruralité. Il y a des liens entre la zone de péri-métropole, les zones plus rurales et la zone de la métropole, du fait des mobilités professionnelles avant tout. La dichotomie ville-campagne porte plutôt sur la facilité d’accès à l’art et la culture, sur un déséquilibre budgétaire – les budgets sont plus faibles dans les zones rurales – et sur le fait que les établissements culturels sont plus rares.
La question de la proximité et d’une offre qualitative est un peu plus difficile parfois en zone rurale. Je dis bien parfois, car cela dépend des zones et des politiques volontaristes portées par des élus et des contraintes budgétaires.
Pourquoi fait-on de la culture ? Parce qu’on pense que ça va améliorer la qualité de vie de nos concitoyens. Il y a de l’empathie là-dedans, cette envie que les gens aillent bien.
Comment l’IDDAC agit pour réduire ce déséquilibre ?
L’IDDAC, l’agence culturelle du département de la Gironde, est une boîte à outils qui intervient sur les aspects de création, de médiation et d’aide à la décision politique. Le département a une mission de proximité et notre feuille de route est d’agir de l’intérieur pour irriguer. Quand le maire d’une commune veut porter un projet culturel, remettre en service une structure, on va l’aider. Si le projet est en lien avec l’espace public et qu’il joue un rôle au niveau de l’intercommunalité, par exemple, on va aussi l’aider. Et on peut faire de la discrimination positive – on l’assume – en dopant les moyens sur les aides à la diffusion, les aides à la résidence, ou sur des aides à la structuration, à l’emploi économique, à la formation. On a une belle boîte à outils à l’IDDAC pour agir.
Ce que nous faisons, c’est d’abord de la mise en cohérence en direction des territoires. On ne veut pas se substituer aux projets culturels et artistiques portés par les opérateurs sur les territoires. On échange, on accompagne.
Délocaliser les services culturels départementaux pour les rendre accessibles
Rapprocher les services culturels de tous habitants du département, et pas seulement ceux de la métropole bordelaise : telle est l’orientation de la politique culturelle du département de la Gironde.
Ce n’est pas un hasard si les locaux bèglais de l’agence culturelle girondine n’accueillent que des services administratifs. «Avec les élus du département, nous n’avons pas souhaité créer un plateau ici [ndlr : une scène avec une salle pouvant accueillir du public], dans les locaux de l’Iddac, parce que nous souhaitons engager les moyens que nous avons sur le territoire et créer des passerelles avec des opérateurs sur les territoires mêmes », explique Philippe Sanchez.
Co-construction et coopération territoriale orientent les choix de cette agence départementale qui n’hésite pas à s’appuyer sur l’existant – qu’il s’agisse d’associations dont l’implantation locale est structurée et forte ou des domaines départementaux, qui, tous, sont des points d’appuis pour la création artistique.
Le Domaine départemental de Nodris, situé à Vertheuil dans le Médoc, est emblématique de cette délocalisation de services culturels. En plus d’être un pôle agricole, il accueille un relais de Biblio.gironde permettant d’alimenter la trentaine de bibliothèques du Médoc sans passer par Bordeaux et le parc de matériel technique de l’IDDAC. Des festivals et événements y sont organisés comme le Reggae Sun Ska ou le festival Perform.
Vous avez créé un pôle culturel, le Domaine de Nodris, situé sur la commune de Vertheuil en plein coeur du Médoc. Quel est son rôle dans la création artistique ?
Je vais un peu me contredire… On a aussi besoin d’ancrer durablement la présence artistique dans les territoires. On a besoin d’agir à certains endroits avec des méthodologies spécifiques. J’aime bien l’idée de faire de la diversification territoriale. C’est-à-dire qu’on n’agit pas de la même façon dans le Médoc ou sur le Bassin d’Arcachon. Cela dépend des acteurs, des dynamiques. Il y a un mouvement au sein du département, pour reprendre la main sur certains établissements culturels et sur leur positionnement géo-stratégique sur le territoire. Je précise : le Domaine de Nodris est un point d’appui pour co-accueillir, co-développer avec des acteurs locaux, des projets de résidences, des projets qui innervent les territoires. Ailleurs en Gironde, le domaine de Certes à Audenge, une fois restauré, sera dédié à la création artistique et culturelle en lien avec la transition environnementale et à des résidences d’artistes. Avec les différents domaines départementaux, le site archéologique de Plassac, la bibliothèque départementale, le Domaine de Nodris contribue au maillage territorial et permet de poser à certains endroits du département une structuration artistique, sans se substituer aux dynamiques des communes ou aux parcs naturels régionaux.
Certains artistes sont aujourd’hui accueillis par des associations implantées dans des villages ou des petites communes de Gironde. Ce système sera-t-il maintenu ou la création sera-t-elle orientée vers les domaines départementaux ?
D’autres formes continueront d’exister, en plus des domaines, pour encourager la création. En différents endroits de Gironde, il y a des tiers-lieux et des projets qui sont en train d’émerger. Il y a des ancrages durables d’équipes artistiques sur plusieurs années avec des formes de compagnonnage, comme avec la compagnie OKTO à Langon ou la compagnie OLA sur la zone Créon-Libourne, en lien avec Larural. On est, dans ces cas de figure, sur des créations in situ, travaillées en lien avec les habitants et qui ne peuvent pas se redéployer de la même façon ailleurs. En parallèle, on voit émerger de nouveaux projets qui sont des lieux de fabrique. Je pense à la Maison Baffort récemment rachetée par la commune d’Étauliers qui veut la mettre à disposition du collectif Queskonfabrik. Nous accompagnons ces projets, même si nous ne sommes pas gestionnaires de ces espaces-là.
La diversification territoriale c’est ça : là où il n’y a pas d’acteurs, on plante un drapeau, comme à Nodris, pour porter un projet ; là où il y a des dynamiques locales, l’IDDAC veut les renforcer. Il ne faut surtout pas alimenter la compétition. Il faut faire converger les moyens de l’action publique.
Y-a-t-il des coopérations entre l’IDDAC et les autres départements de la région Nouvelle-Aquitaine ?
43% des équipes artistiques de Nouvelle-Aquitaine vivent en Gironde. Le département pose une limite administrative mais pas de vie. Les équipes artistiques s’exportent. On est préoccupé par la question de l’emploi culturel. Comment ces équipes artistiques peuvent-elles vivre et travailler en Gironde et en Nouvelle-Aquitaine ? L’IDDAC crée des liens, des partenariats interdépartementaux avec par exemple l’Agence culturelle Dordogne-Périgord, avec les cercles de Gascogne dans les Landes. Nous nous inspirons de ce que font les autres, par exemple de la résidence d’artistes NEKaTOENEa à Hendaye.
Comment voyez-vous l’évolution de vos missions autour du spectacle vivant ?
Avant tout, on voudrait poser l’idée de lieux structurants et renforcer des équipes (professionnelles, associatives et des équipes artistiques) qui vont donner une couleur forte aux territoires et prendre leur part dans leur développement.
L’IDDAC a une mission sur le spectacle vivant et nous voudrions aller vers une diversification des esthétiques. Le spectacle vivant, ce n’est pas que le spectacle en salle, les formes sont hybrides aujourd’hui, le spectateur sort de “la boite noire”. Aujourd’hui, un spectacle se joue dans une forêt, au bord d’un lac, dans un village. Nous souhaitons investir dans les arts visuels, les arts plastiques, les écritures et nous autoriser un pas de côté. Y compris dans le rapport art-nature. Le rapport art-nature permet de parler de la question du paysage donc de la photo voire des sciences… Il y a de multiples esthétiques et nous souhaiterions rendre mieux compte de cette diversité.
Propos recueillis le 11 octobre 2022
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