Rencontre avec François Garrain, heureux président de Musicalarue à Luxey
"Une journée sans musique est une journée sans soleil"
AVEC SA FACONDE, SON HUMOUR ET SA FORCE DE CONVICTION, L’EMBLÉMATIQUE PRÉSIDENT DE MUSICALARUE DE LUXEY REVIENT SUR 50 ANS D’HISTOIRE, TOUT EN RESTANT RÉSOLUMENT TOURNÉ VERS L’AVENIR. DANS CETTE INTERVIEW RÉALISÉE À L’OCCASION DE L’ÉDITION 2023 DU FESTIVAL MUSICALARUE, IL N’A DE CESSE DE MARTELER QU’ÉVÉNEMENT ESTIVAL ET PROGRAMMATION À L’ANNÉE FONT LA PAIRE ET QUE LA CULTURE EST INDISPENSABLE AU DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES RURAUX. UNE PAROLE QUI FAIT DU BIEN !
Qui êtes-vous, François Garrain ?
Je suis président de l’association Musicalarue de Luxey, association loi 1901, à but non lucratif. Ce sont deux éléments – association, à but non lucratif – sont importants à préciser : c’est notre indépendance. C’est pourquoi on fait les choses. Ça veut dire que notre motivation première est de développer un projet culturel en milieu rural. Et notre intérêt, même si c’est légitime, n’est pas forcément de gagner de l’argent.
Il est important de dire qui on est et pourquoi. D’ailleurs, nous participons en ce moment à une campagne portée par notre syndicat de musiques actuelles “Vous n’êtes pas là par hasard” met en avant le statut de notre association, ce à quoi ce projet est rattaché, pour que les gens nous préfèrent, nous choisissent et finalement ne soient pas là par hasard.
Le festival Musicalarue n’est pas né à Luxey par hasard…
En 1968, on était de jeunes ados, un peu turbulents, intéressés par le rhythm and blues et la musique venue d’ailleurs. On a demandé au maire de l’époque de nous prêter une salle de classe désaffectée pour en faire une sorte de foyer des jeunes. Ce qu’il a fait.
On faisait trop de bruit. Le maire a voulu nous expulser. On a refusé. Quelque temps après, il a démissionné.
On est tombé sur un prof de gym proche de la retraite qui s’est intéressé à nous, qui a fédéré nos énergies, qui nous a donné goût à donner du temps aux autres, à monter un projet, à respecter un calendrier. On s’est occupé assez rapidement d’organiser la fête du village : une fête autrement, dans laquelle on a fait participer pendant 20 ans les gens de Luxey autour d’un défilé carnavalesque, souvent un peu impertinent, qui mettait en scène quelquefois des débats de société.
Et puis, les choses ont un peu vieilli. On s’est posé la question de savoir comment notre histoire de fête locale allait continuer, surtout qu’entre temps, on avait imaginé une petite proposition culturelle tout au long de l’année, autour de quatre ou cinq concerts. Comment tout cela allait-il perdurer ?
Une conscience politique a commencé à s’installer chez chacun d’entre nous : Qu’est-ce que la culture en milieu rural ? On voyait autour de nous des festivals très spécialisés : le jazz à Uzeste, les musiques du monde à Langon, Jazz in Marciac, le théâtre à Blaye. Et il semblait que, de notre point de vue, il manquait un escabeau un peu pluridisciplinaire sur le plan artistique, avec une dynamique de fête, pour que les gens aillent ensuite dans des festivals très spécialisés. C’est comme ça que Musicalarue est né en 1990. On a gardé la rue comme lieu d’expression avec les arts de la rue et les musiques comme projet artistique, comme tronc commun.
Une journée sans musique, c'est une journée sans soleil. Le spectacle vivant est une nourriture quotidienne… Quand on voit que trois jours de festival arrivent avec plutôt du beau temps, des spectacles et des concerts, ça fout la banane ! C'est bon ça !
François Garrain
Comment fait-on pour se renouveler, ne pas se lasser pendant plus de 30 ans ?
En 1968, dans ce foyer des jeunes, on avait un petit tourne-disque sur lequel on écoutait Joe Cooker et Patti Smith. Et pour plagier Edgar Morin, je dirais que “ le probable n’est pas certain et souvent c’est l’inattendu qui advient.”. Cinquante ans plus tard, en 2013, la grande scène de Musicalarue a accueilli Joe Cooker et en 2019, Patti Smith ! Il y a des histoires qui sont magiques. Comment imaginer en 68, quand on en faisait nos petites couillonnades, que 50 ans après, un artiste international viendrait se commettre à Luxey, un village de 700 habitants au milieu des pins !
Pour répondre à la question de la lassitude et de l’énergie qu’il faut trouver au fil des années, je dirais qu’on est assez vite tombé dans la magie du spectacle vivant qui, à chaque fois pour nous, génère du plaisir et de l’émotion. Et ça vaut à chaque spectacle et ça, on ne s’en lasse jamais. Une journée sans musique, c’est une journée sans soleil. Le spectacle vivant est une nourriture quotidienne.
Derrière notre envie d'amener la culture, il y a aussi le souci de défendre un territoire, de le rendre attractif et que les gens aiment venir s'y installer. Il s'agit de son devenir et de son histoire à écrire. On est tout le temps connecté à ces problématiques. Ces enjeux-là, ça ne se discute pas !
François Garrain
Quelle est la place de Musicalarue sur le territoire ?
Notre projet est intégré à un territoire, à son attractivité et on voit bien ce que représente un projet culturel sur l’attractivité du territoire ; un festival bien sûr, mais aussi tout au long de l’année, des propositions artistiques. On a sur ce territoire quelques grosses usines qui font appel à des ouvriers qualifiés, on a des établissements scolaires, on a encore la possibilité de se loger décemment, la médecine n’est pas complètement absente et pour faire venir des gens d’ailleurs, pour trouver du travail, il faut que le costume soit parfait. Ces gens-là ont souvent un pouvoir d’achat correct et il faut aussi une proposition artistique, de loisirs, de sport pour que les gens choisissent et préfèrent ce territoire.
Derrière notre envie d’amener la culture, il y a aussi le souci de défendre un territoire, de le rendre attractif et que les gens aiment venir s’y installer. Il s’agit de son devenir et de son histoire à écrire. On est tout le temps connecté à ces problématiques. Ces enjeux-là, ça ne se discute pas !
En plus de 30 ans de Musicalarue, qu’est-ce qui a changé ?
On a embauché dix personnes, on est devenu des chefs d’entreprise bénévoles. En 1990, on n’avait pas le même rôle que maintenant. On est devenus des entraîneurs, des managers associatifs, des éducateurs. Le quotidien est devenu différent pour nous. On parle davantage de stratégie, on parle davantage de modèle économique, on parle de structurer l’association, de voir comment on va refaire du lien sur le plan local, à tel point qu’on organise un débat sur le “agir local, penser global”, en clin d’œil à Jacques Ellul. Tout ça mis côte à côte, ça tient le coup et on continue. Et puis, quand on voit que trois jours de festival arrivent avec plutôt du beau temps, des spectacles et des concerts, ça fout la banane ! C’est bon ça !
On ne va pas changer la face du monde, mais on va susciter des choses. On pause notre petit caillou blanc. Et comme le raconte joliment Pierre Rabhi, “on fait notre part”. Pas plus. Pas moins.
François Garrain
Ça veut dire que les rêves du jeune François Garrain de 68 sont toujours les mêmes vos rêves 50 ans plus tard ? C’est toujours la même utopie ?
Absolument. J’en parle à chaque fois avec la même émotion parce que j’ai pratiqué un sport d’équipe. J’aime le vestiaire, j’aime les équipes qui se regroupent. J’aime faire partie d’un collectif qui correspond à notre manière de penser. Et puis c’est assez ambitieux de pouvoir sur un festival, imaginer comment on va organiser une microsociété avec nos règles, nos valeurs ; ce qu’on met en partage, ce qu’on va payer, ce qu’on ne va pas payer, ce qu’on va offrir, combien de temps ça va durer, combien de propositions il y aura… Et tout ça, c’est très agréable. On ne va pas changer la face du monde, mais on va susciter des choses. On pause notre petit caillou blanc. Et comme le raconte joliment Pierre Rabhi, “on fait notre part”. Pas plus. Pas moins.
Une salle de spectacle, ça a vocation, quels que soient les gens, qui s'en occuperont, à ce que l'histoire continue et que la culture s'installe durablement sur ce territoire. Ça veut dire que les choses ne vont pas disparaître comme ça. Dans l'histoire des trois petits cochons, Le loup, même s’il souffle, le bâtiment en dur, il ne bouge pas !
François Garrain
Musicalarue, ce n’est pas seulement un festival. Comment sont nées les Cigales, un équipement culturel qui fonctionne à l’année à Luxey ?
S’il n’y avait pas de proposition culturelle tout au long de l’année, il n’y aurait pas de festival. Ce festival n’a de sens que parce que pour les gens qui vivent ici, il y a une proposition artistique tout au long de l’année, pour tous les publics, pour toutes les générations. Si on suscite une envie pendant trois jours, si on crée des appétits, qu’est-ce qu’on va faire des gens si ce travail de fourmi mené pendant trois jours l’été ne finit pas aux Cigales ? On rayonne aussi sur tout le territoire avec Musique à domicile. On s’inquiète du parcours des jeunes artistes avec Musicalarue sur un plateau. Et puis Les Cigales, un équipement spécialisé à Luxey, c’est un signe fort ! On a pignon sur rue comme Apollon dans la mare, là-bas, avec la Forêt d’art contemporain : on se dévoile, on s’expose. Une salle de spectacle, ça a vocation, quels que soient les gens, qui s’en occuperont, à ce que l’histoire continue et que la culture s’installe durablement sur ce territoire. Ça veut dire que les choses ne vont pas disparaître comme ça. Dans l’histoire des trois petits cochons, Le loup, même s’il souffle, le bâtiment en dur, il ne bouge pas !
Propos recueillis par Sonia Moumen, juillet 2023.
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