Amélie Dagues décrypte la ruralité d’aujourd’hui
dans le podcast Laisse Béton
Amélie Dagues a quitté Paris avec mari et enfants pour un coin de campagne dans le Perche il y a sept ans. Parce que ce déménagement a suscité moult incompréhensions dans son entourage, elle s’attache depuis à décrypter ce besoin de se mettre au vert. Et le partage dans son podcast Laisse Béton, un podcast curieux, réfléchit et vivifiant. Dans une interview pour Champs Libres, elle évoque la vie à la campagne, l’exode urbain et son podcast. Rencontre.
Vous avez créé le podcast Laisse Béton pour raconter le milieu rural. Qu’en avez-vous appris ?
Il y a une vraie diversité d’histoires de migration des villes vers la campagne puisqu’on fait référence à des histoires de vie. Le sujet est quasiment inépuisable. Il y a des choses qui reviennent dans les témoignages des individus qui se confient à mon micro… Dans le désordre… On sent un vrai soulagement à se retrouver dans un environnement plus naturel – on parle souvent de reconnexion mais pour beaucoup c’est une connexion tout simplement. C’est parfois difficile d’y mettre des mots, mais il y a un vrai bien-être qui est exprimé. Toujours dans le désordre, il y a une très grande énergie sur ces territoires qui se manifeste souvent par une vraie vitalité d’un point de vue associatif, parfois pour pallier le manque de service public et parfois parce que des gens ont envie de faire bouger les choses. Souvent, un cercle vertueux se crée : des gens arrivés de la ville juste pour télétravailler sont happés par cette énergie, cet engagement, et se mettent à créer des associations, à s’engager dans la vie publique, à se faire élire ! Et ça donne des histoires que je trouve belles !
On dit encore que le milieu rural est peu dynamique, peu créatif. Faites-vous ce constat ?
Non, pas du tout. C’est même tout l’inverse en fait. C’est marrant cette vision en blanc et noir, comme une photo argentique (rires). D’un côté, il y a une vision de la ruralité depuis les métropoles qui est erronée. D’un autre côté, on dirait qu’une grosse partie du monde rural a non pas jeté l’éponge, mais n’a même plus envie de raconter. Il y a une scission entre les deux mondes. Certains n’ont plus l’énergie de dire “il y a de la culture en milieu rural, il y a de la vitalité”. Pourtant c’est vrai, il se passe plein de choses, beaucoup de gens témoignent de cela dans Laisse Béton.
L’avenir est à la campagne. L’avenir écologique, économique, social, la créativité - à tous les niveaux !
Le podcast Laisse Béton est organisé en trois rubriques : Témoignages, Voix engagées et Mots d’experts. Pouvez-vous nous en parler ?
Les témoignages sont la raison même d’exister du podcast : inspirer des citadins qui se posent la question d’aller vivre en milieu rural en leur montrant que c’est possible, que des gens l’ont fait il y a trois mois mois, trois ans ou trente ans. Quand j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet, j’ai commencé à lire tout ce qui me tombait sous la main et j’ai eu envie de rencontrer les auteurs. Ça a donné la rubrique Mots d’experts. La partie Voix engagées, c’est ma façon de témoigner de la vitalité de ce monde en donnant la parole à des gens qu’on n’entend pas souvent. Des gens qui font la vitalité du monde rural par leur engagement, soit en tant qu’élu, soit en tant que membre d’une association.
Qu’est-ce que les Mots d’experts apportent aux Témoignages et aux Voix engagées ?
Ça permet de faire un pas de côté et de regarder de manière macro ce phénomène d’exode urbain. Il y a par exemple une intervention sur la mobilité en milieu rural. Je trouve intéressant de prendre un sujet, qui peut être soit une problématique soit une réserve que peut avoir un citadin avant de s’installer en milieu rural. Bien sûr, il y a aussi un sujet sur l’exode urbain : y a-t-il un exode urbain ? Je ne suis pas sûre que la question soit importante mais elle a été très médiatisée au moment du Covid. Je trouvais intéressant que des gens s’expriment sur ce sujet. Ils ne sont pas d’accord, d’ailleurs. Certains pensent que le phénomène est en train d’arriver et peut être massif, d’autres sont plus modérés : ils reconnaissent qu’il se passe des choses au vu des chiffres mais pas au point de retourner l’exode rural. Quoi qu’il en soit, leurs analyses éclairent ma démarche et le phénomène est intéressant à décrypter. Il y a plein de fils à tirer !
Il y a dans le milieu rural une innovation sociale, des façons de faire dont plein de métropoles devraient s’inspirer.
Comment trouvez-vous vos témoins ?
J’ai commencé par mon réseau proche. Puis l’effet réseau a fonctionné. Plus j’interviewe de gens et plus j’en ai à interviewer ! Il y a un effet démultiplicateur. C’est d’autant plus intéressant que maintenant j’arrive à sortir du réseau de mon réseau. Je vais toucher des gens que je n’aurais jamais pu rencontrer sans le podcast.
Qui par exemple ?
Des gens qui ont quitté des métiers traditionnels dans une grande ville pour s’installer comme artisan dans le centre de la France, par exemple. Je trouve intéressant leur démarche de se proposer comme témoin. Il y a un partage – ils ont envie de raconter leur histoire parce qu’ils pensent que leur expérience peut être utile aux autres. On est dans le don. Et c’est gratuit – je ne les paie pas !
Le podcast Laisse Béton essaie de comprendre le phénomène d’exode urbain en apportant petit à petit des analyses. Vous l’avez vécu et vous l’étudiez. Qu’en pensez-vous ?
Je me range du côté de ceux qui étudient ce phénomène et qui disent qu’il se passe quelque chose, un peu partout. Mais ce n’est pas massif, peut-être que ça le deviendra, mais aujourd’hui la pandémie n’a pas rééquilibré les territoires. Je suis de l’avis de ceux qui disent qu’il faudrait rééquilibrer les territoires pour plein de raisons : dégraisser les villes, rééquilibrer les financements, la répartition des professions sur le territoire, etc.
Quitter la ville, c’est possible et il y a plein de choses à inventer. Je parle de far ouest, et c’est un peu ça. Il y a tout ce qu’on veut ici. D’ailleurs beaucoup de gens n’éprouvent plus le besoin de partir, même en vacances. Ce n’est pas du repli sur soi mais la prise de conscience que l’horizon est plus près qu’on ne le pensait. C’est un chemin de vie individuel très riche – en termes de rencontres, d’apprentissage sur soi, de découvertes du monde.
Il y a dans le milieu rural une innovation sociale, des façons de faire dont plein de métropoles devraient s’inspirer. C’est ce qui me touche le plus : des gens qui, même s’ils avaient habité dans le même immeuble en ville, ne se seraient jamais parlés, arrivent à faire des choses ensemble. C’est porteur d’espoir sur pleins de sujets.
Vous aimerez aussi...