Florence Lavaud : metteure en scène pour tous !
Un théâtre visuel et en mouvement qui prend racine en Dordogne
JOURNAL D’UN MONSTRE , SONGE ! , UNE BELLE, UNE BÊTE , UN PETIT CHAPERON ROUGE… AVEC PLUS DE VINGT CRÉATIONS TOTALISANT PLUS DE 2500 REPRÉSENTATIONS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER, FLORENCE LAVAUD A CONTRIBUÉ À DONNER AU THÉÂTRE POUR LA JEUNESSE UNE DIMENSION SINGULIÈRE. DEPUIS SAINT-PAUL-DE-SERRE, PETIT VILLAGE BUCOLIQUE DU PÉRIGORD BLANC, LA METTEURE EN SCÈNE CRÉE DEPUIS PLUS DE TRENTE ANS UN THÉÂTRE CONÇU COMME UNE PEINTURE VIVANTE, S’APPUYANT SUR LE GESTE, LE SON ET LA MUSIQUE. TROP FACILEMENT ÉTIQUETÉ « JEUNESSE », IL S’ADRESSE À TOUS, PROPOSANT DIFFÉRENTS NIVEAUX DE LECTURE, REFUSANT D’AFFIRMER UNE VÉRITÉ, PRÉFÉRANT INTERROGER LE REGARD. PIÈCES DE THÉÂTRE, PORTRAITS, ELLE DÉVELOPPE SON ART DANS UNE PALETTE MULTIPLE OÙ LES ACTEURS PROFESSIONNELS CROISENT DES COLLÉGIENS ET MÊME UN ANCIEN RUGBYMAN. RENCONTRE AVEC UNE METTEUR EN SCÈNE EXCEPTIONNELLE.
Est-ce qu’il y a un théâtre spécifique aux jeunes ?
La jeunesse, c’est un public que j’aime et que je défends. À l’époque, il y a trente ans, j’ai sorti une pièce pour laquelle on a dit qu’elle était pour la jeunesse. Quand j’ai fait Un petit chaperon rouge on m’a dit que ce n’était pas pour le jeune public alors que, finalement, ça rentrait dans les cases « jeune public ». Je crée avec ma part d’enfance, je parle de la naïveté, de la cruauté, de ces endroits de rencontre trouble où la naïveté – celle qu’on a tous en nous – rencontre la cruauté. Certains créent des spectacles en pensant d’abord au jeune public. Pas moi. Je crée des spectacles avec ce que je suis et ma part d’enfance qui est énorme, ce qui fait qu’ils sont visibles par la jeunesse. Dans certains spectacles, comme les portraits, je force pour que cette part d’enfance soit encore plus visible.
Comment avez-vous réussi à garder votre part d’enfance sur trente ans de carrière ?
Le merveilleux, l’émerveillement, est galvaudé… Et rêver aussi est galvaudé. C’est un métier de les garder… Comment dire… Je suis les pieds dans le concret. Je suis née en Dordogne, je suis assez paysanne comme fille avec les pieds dans la terre et la tête dans les nuages. Je ne supporte pas les choses qu’on va me donner et qui vont me perdre. J’ai besoin de solitude, de contemplation pour me recentrer. J’ai besoin de cet isolement pour travailler.
Être artiste, c’est une vie. C’est s’interroger constamment sur ce qu’on fait, pourquoi on le fait. On n’a pas de réponse. On avance sur un chemin. On s’arrête, on regarde derrière, devant. Tout cela, c’est du temps.
Florence Lavaud
Un théâtre visuel en mouvement pour tous
Florence Lavaud crée un théâtre très visuel où les sons, les gestes et la musique se répondent. « Pour écrire, j’ai besoin du plateau, explique-t-elle. Mon travail implique une écriture simultanée et un montage millimétré du mouvement du comédien, de l’image et du son. Naissent alors des tableaux en clairs-obscurs, des toiles de vie… ».
Elle reprend cette année, vingt-cinq ans après l’avoir créée, la pièce Un petit chaperon rouge récompensée par un Molière en 2006. Une histoire d’émancipation féminine, belle et brutale qui met en scène l’être dans sa dualité, dans son indéfectible quête à vivre, à grandir. Pour créer la version de 2024, la metteure en scène fera collaborer les interprètes de la pièce originelle afin qu’ils transmettent leur rôle aux nouveaux acteurs. « La transmission est quelque chose d’extraordinaire », s’étonne Florence Lavaud, aussi heureuse que surprise.
Et ce Lieu que vous avez créé, ici, à Saint-Paul-de-Serre en Dordogne, pouvez-vous nous en parler ? Cela fait longtemps que vous y êtes, que vous y travaillez…
Je m’y sens bien. Il me correspond. Il y a d’un côté la salle noire et de l’autre une ouverture sur le bois, la nature. J’ai la chance de vivre de ma passion ; c’est une soutane, il faut le dire. Pourquoi avoir choisi ce lieu, ici ? [Elle réfléchit, regarde à droite, à gauche] Je suis née ici. J’ai commencé à faire du théâtre à quatorze ans et à écrire bien avant, vers dix ans. Bon, je n’écrivais rien mais je rêvais et j’écrivais ! Et puis un jour, j’avais vingt-cinq ans, mon spectacle [Un petit chaperon rouge, NDLR] a été joué mille fois partout en France. Alors, je ne me pose pas la question. Je suis là… Et je ne suis jamais là. Je me ressource ici, chez moi. Je crée ici. « Un petit chaperon rouge » a été créé dans ma grange. Mais j’ai besoin de sortir, de la quitter pour trouver les moyens pour travailler.
Est-ce que cet ancrage fort en milieu rural vous a aidé dans votre parcours professionnel ? Souvent on dit que les carrières se font dans les grandes villes…
Moi, j’en ai fait une chance. Après, c’est comme tout, en toute chose il y a des côtés positifs et négatifs. Il y a des gens qui me découvrent seulement maintenant. Le Lieu est un peu secret, à mon image je crois. Et je suis ancrée dans cette réalité. Gratter la terre, je l’ai fait, planter des tomates, tuer une poule, je connais. Porter des câbles, installer un projo, attacher la remorque à la voiture parce qu’on n’a pas d’argent… Mon côté terrien, c’est d’être ancrée dans la réalité. Et ça m’aide d’être dans cette réalité pour écrire sur des problèmes plus graves, plus douloureux du monde actuel. Ma réalité m’aide à trouver un angle visuel, sonore…
Les gens ont une vision de l’artiste rêveur, là-haut… Moi, je suis restée telle que je suis et je sais que j’ai un devoir de redistribution et de partage.
Florence Lavaud
Dans une interview à Dominique Paquet, vous avez déclaré que le « théâtre c’est rendre l’invisible visible ». Est-ce toujours le cas ?
C’est une de mes lignes de travail, même si mon théâtre part de l’intuition. Il y a des strates de visibilité : dans une pièce, un adulte voit quelque chose, un enfant en voit une autre. C’est ça rendre visible l’invisible. Cela peut fonctionner avec des émotions. Je vais prendre un exemple plus concret. Il y a quelques années j’ai créé un spectacle, Profs. L’idée est d’envoyer dans les classes de faux profs avec des matières de rêve. Mais pour les élèves, ce sont de vrais profs ! On est complètement dans l’invisible. On voit les élèves qui acceptent la proposition, ceux qui la refusent… Tout cela m’intéresse. Je pourrais aller plus loin, mais j’en ai assez dit !
Pouvez-vous nous parler des portraits ?
L’idée, c’est de travailler ensemble. Travailler avec l’enfance, avec un territoire, un thème. Avec le collège de Vergt, les jeunes ont voulu s’interroger sur « Moi, dans vingt ans ». J’ai fait appel à la philosophe Dominique Paquet, pour cette aventure. Ce que je trouve beau dans les portraits, c’est qu’on les crée en temps court, et que ce sont des temps de recherche. C’est de l’humain. [Pour un autre portrait, NDLR] J’ai trouvé dans le rugbyman professionnel Jérémy Bertin, une histoire incroyable qui touchera autant les adultes que les enfants : ses rêves, ses blessures, ses exigences. Il ne lâche pas ! Et j’aime sa façon de me parler ! Il me nourrit, je le nourris. C’est une belle rencontre ! C’est la vie ! C’est pour ça que ce métier est merveilleux !
Un lieu fabrique de création à Saint-Paul-de-Serre
Ce lieu de création a été sobrement baptisé le Lieu. Conçu comme un espace de création et d’accompagnement, et comme un lieu ressource, il accueille aujourd’hui plus de dix résidences de création par an. Les compagnies s’installent pour le temps qui leur convient. Pour Florence Lavaud, « c’est une maison des artistes. C’est rare un lieu où on vous donne les clés et où on vous laisse travailler quand vous voulez ».
Pour autant, il aura fallu la mobilisation de beaucoup d’acteurs locaux et nationaux pour que le Lieu voit le jour. S’il appartient aujourd’hui à la Communauté d’agglomération du Grand Périgueux, c’est grâce avant tout au soutien de la commune de Saint-Paul-de-Serre. Alors à l’étroit dans la grange et la salle municipale, la Compagnie Florence Lavaud envisage de partir. Et c’est d’abord vers le maire que la metteure en scène se tourne. « On a eu de la chance, se souvient-t-elle, on a été soutenu [à l’époque, NDLR] par la commune et la communauté de communes du pays Vernois, l’Etat, la Région, le Département et même l’Europe ! ». Trente ans après, le lieu est inscrit dans le paysage théâtral. Il faut bien dire que Florence Lavaud lui a toujours donné sa préférence même lorsque les sirènes du monde du théâtre se faisaient très attirantes.
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