La performance selon Sarah Trouche
L'artiste girondine explique son travail
Sarah Trouche aime à se définir comme une artiste polymorphe utilisant aussi bien la photographie, la vidéo, la sculpture ou la danse. ce sont ses performances dans lesquelles elle apparaît le plus souvent nue qui l’ont fait connaître. Interview d’une artiste attachée au Médoc, amatrice de voyages au long court, et qui a créé sur ses terres natales le festival Perform.
Quelle est votre définition de la performance et votre pratique de celle-ci ?
Pour moi, il n’y a pas de définition de la performance. C’est le vivant et la vie en soi, un moment d’inattendu. Ce qui compte dans la performance, c’est d’être toujours ici maintenant, présent. Je me situe là où mes pieds sont posés. Dans le travail de performance, je mets en avant ce que j’appelle les anomalies sociologiques et politiques. Donc, je vais dans les angles morts de la société. Ça m’a amené au Bénin, à Svalbard (en Arctique), dans la forêt amazonienne, en Chine ou à Taïwan, en Outre-mer, en Médoc. Le corps est vecteur et médium d’interactions, et c’est ce qui m’intéresse particulièrement.
Pouvez-vous nous présenter quelques unes des performances que vous avez réalisées ?
J’ai énormément travaillé en Chine car j’ai vécu plus d’un an et demi à Pékin. Ce qui m’a intéressé en Chine, c’était ce rapport aux politiques et surtout cette histoire du politique. Donc, j’ai fait une performance sur la plasticienne Handtmann. Dans cette performance, j’ai utilisé des symboles, parce que les symboles sont champs des possibles et permettent aux autres de se réfugier dedans et de créer ainsi leur propre histoire. J’ouvrais et je fermais des lanternes magiques. Ces lanternes sont utilisées dans la culture chinoise pour célébrer, ouvrir, faire commémoration. On entendait uniquement cette fermeture et cette ouverture, calée sur le bruit d’une respiration. Cette performance m’a banni de Chine. Je suis interdite de territoire en Chine.
Ce bannissement m’a amené à Taïwan et notamment sur l’île de Themens Island, qui est une île militaire entre la Chine et Taïwan. Ce qui fait que, s’il y a une invasion, ce serait la première île qui serait envahie. Dans ce travail, là, j’ai utilisé un bunker. Les jeunes qui font leur service militaire sur cette île, ne connaissent pas forcément les codes [militaires, ndlr]. Alors, on y trouve des écritures qui sont des modes d’emploi pour utiliser les armes. Il y a des phrases comme « Tant que tu n’as pas croisé le regard de ton adversaire, tu ne tires pas. Mais quand tu croises son regard, tu connais la distance et tu peux tirer. » Je me suis appuyée sur ces écrits militaires pour changer les mots et en faire un poème. Donc, l’idée, c’est de toujours travailler sur le site, et surtout avec les gens qui m’entourent, de créer du lien. Ils deviennent complices de mes performances. On se retrouve dans cette complicité à collaborer, à proposer de l’imprévu pour faire une vidéo, de la photographie qui portent un message plus loin.
Je trouve qu'en France, on se doit entre les grosses villes et les campagnes, d'avoir la même offre culturelle et d'avoir les mêmes droits.
Quel est votre lien au Médoc ?
J’ai une attache très particulière avec ce territoire, aussi pour des enjeux politiques, parce que ce qui m’intéresse dans le Médoc, c’est la ruralité. Ayant grandi au Médoc, je connais la difficulté de l’accessibilité culturelle sur ce territoire. Il y a de la diversité culturelle, il y a de l’offre, il y a des associations locales, mais c’est difficile. Je trouve qu’en France, on se doit entre les grosses villes et les campagnes, d’avoir la même offre culturelle et d’avoir les mêmes droits. Et le fait d’avoir une carrière dans le milieu de l’art et de rester en Médoc me permet d’amener justement de plus en plus de propositions artistiques, d’inviter des artistes à découvrir ce coin. Et parce qu’ils découvrent ce coin, ils font avec les habitants et on se retrouve à collaborer tous ensemble et à créer des synergies.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Un artiste peut être inspiré par une lumière, par une saison, par un territoire, mais finalement, l’inspiration réside plus dans l’état d’esprit où il est. En ce moment, je travaille sur la liane. Du coup, ça va me donner envie d’être en forêt. Je vais lire, je vais regarder, je vais reprendre le temps de revoir. Je trouve que l’art, c’est ça : c’est essayer de prendre le temps de revoir, de poser un regard différent et après, de tenter de le partager.
Je fais une œuvre en partant d’une petite histoire et cette petite histoire, elle se fait dans les bistrots. Elle se fait dans les restos. Elle se fait au coin du supermarché. Je vais partir de la petite histoire des gens et de ce qu’ils ont envie de me raconter pour en faire quelque chose de beaucoup plus grand. « Nous ne sommes que des passants », dit Feldwin Sarr. On passe, on essaie de partager et on ne sait pas ce qu’il en restera. Mais encore une fois, c’est le voyage qui compte plutôt que la destination.
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