L’écosystème des frères Braco
Deux cinéastes animaliers en leur terroir
En réalisant Fort CaracTerre, Hugo et Nathan Braconnier, cinéastes animaliers, ont entrepris de filmer leurs paysages familiers – les terres bien nommées de Bougon, dans les Deux-Sèvres. Au fil des saisons, ce projet est devenu une véritable expérience communautaire.
Il paraît que nous traversons nos vies en automates, ne prêtant jamais attention qu’à ce qui nous étonne, doutant parfois d’avoir vécu nos jours – ou bien rêvé, peut-être ? Ainsi vous marchez, faites la vaisselle ou l’amour sans que la conscience n’y ait part, conduisez sans avoir à penser qu’il faut embrayer et relâcher l’accélérateur avant de passer la cinquième, tout ça se fait machinalement, et les kilomètres défilent, et vous ne voyez rien, pas plus l’autoroute que le paysage alentour ; il a pourtant bien fallu que vous avisiez telle sortie pour être l’instant d’après sur une départementale, il a bien fallu, seulement vous n’en avez aucun souvenir, non plus que du moment où vous vous êtes engagé sur ce chemin de terre, maintenant vous savez pourquoi, parce que le GPS vous l’a ordonné, comme il vous annonce que vous êtes arrivé au Chausseroy, commune de Soudan.
Vous voudriez alors revenir à votre vie d’automate, projeter sur ce qui vous entoure quelques schémas bien rodés, sauf que rien ne cadre : d’un côté une ferme résolument moderne, avec ses bâtiments lisses et cubiques, de l’autre une maison de rondins démesurés, évoquant davantage un conte de fées que les Deux-Sèvres…
Et le jeune homme qui vous accueille, avec ses échasses plantées entre des chaussures de sécurité éreintées et un short de sport, les joues pleines et le regard rêveur, ne se laisse pas plus ramener à vos catégories. Lui, c’est Nathan Braconnier. Son grand frère, Hugo, surgira bientôt, et ne s’y pliera pas davantage. Alors vous abattez votre dernière carte : néo-ruraux ? « Nos parents viennent du village d’à-côté, ils sont installés ici depuis trente-cinq ans. » Raté.
C’est vrai qu’être enfants d’agriculteurs nous a ouvert des portes. On parle des mêmes choses. Nous avons pris le temps d’expliquer notre démarche, et eux nous ont beaucoup aidés en retour. Qui de mieux placé pour savoir où niche un oiseau, repérer le terrier d’un renard ?
Que faut-il pour faire dévier une vie, et se rencontrer ce qui ne se rencontre jamais ? Dans le cas de Nathan et Hugo, pas de révélation subite mais une série de portes ouvertes, qui ne le sont pas pour tous : un appareil photo qui traîne à la maison – « et regarder le monde à travers un œilleton, c’est déjà décaler son regard » – et qu’ils vont exercer sur la ferme, les animaux, déjà. Le Festival international du film ornithologique de Ménigoute, auquel leurs parents les amènent depuis qu’ils ont 5 ans. Enfin la création de l’Institut francophone de cinéma animalier des Deux-Sèvres.
C’était là, tout près, réel, possible : « Ça peut paraître étonnant mais on savait dès l’enfance ce qu’on voulait faire. » Et ils l’ont fait. Un bon cinéaste animalier est d’abord un naturaliste, alors ils ont étudié la gestion de l’environnement. Puis en deux ans à l’Institut, Hugo a pu réaliser deux films, et commettre une infinité d’erreurs, dont il a tiré une expérience inestimable – et l’envie d’en découdre avec les lieux communs du cinéma animalier. Ce sera le projet Fort CaracTerre.
Vous aimerez aussi...