Les paysages mystérieux de Jon Cazenave
Rencontre avec le photographe autour de son livre Galerna
Rien ne prédestinait le basque Jon Cazenave à la photographie, lui qui a fait un début de carrière dans la finance… Il est pourtant aujourd’hui l’une des plus grandes signatures d’Euskadi et publie Galerna (tempête en basque), un recueil de photographies autour de son identité. Rencontre avec un photographe qui porte un regard puissant et chargé de mystère sur le Pays basque des deux côtés de la frontière.
Jon Cazenave aime les projets au long court. Cela fait plus de dix ans qu’il mène Galerna, un projet autour de son identité, plongée subtile et pleine de mystère des deux côtés de la frontière du Pays basque. Entièrement en noir et blanc, ses images sombres et profondes sont paradoxalement un hymne à la lumière. « La recherche de cette lumière utérine, dense et intime est devenue une obsession pendant de nombreuses années« , précise l’artiste.
Si le point de départ de cette série a été le conflit politique basque, le regard de Jon Cazenave a évolué au fil du temps pour aboutir à « un imaginaire intemporel et universel » en forme de voyage initiatique au cœur de ses propres méandres.
Les paysages et les visages sont comme des fantômes. Qui sont-ils ? Des rencontres en cours de route ?
Ce sont les gens qui construisent et habitent le paysage. Les pêcheurs, les personnes touchées par le conflit basque ou mes propres amis se fondent dans la montagne, dans les vagues ou dans la forêt, en essayant de souligner leur union. Galerna commence par une analyse du conflit politique basque et, au fil du temps, se dirige vers des aspects liés à l’anthropologie ou à la mythologie. Mon intention a été de créer un imaginaire visuel intemporel qui transcende le territoire basque pour raconter une histoire universelle qui implique l’être humain dans son ensemble.
Au cours de ce voyage, j’ai essayé d’être attentif à la rencontre et de capturer avec l’appareil photo des personnes et des paysages qui se fondent dans un discours, se nourrissant mutuellement. Ils sont le témoignage de ma recherche.
Considérez-vous cette recherche comme un voyage initiatique ?
Absolument. Mon travail a pour point de départ le peuple basque, mais au fur et à mesure de son évolution, ce thème se dilue et devient plus personnel : si les questions initiales posées étaient universelles – l’origine, la culture et l’identité de ce peuple – peu à peu elles deviennent un prétexte pour tenter d’expliquer à la fois ma position dans ce contexte et moi-même.
La recherche est donc génésique : une enquête sur les racines culturelles de l’identité collective qui s’élargit pour devenir intime. Cette recherche implique un voyage, un itinéraire qui n’est pas seulement chronologique, mais éminemment physique. Le photographe est aussi un passant et, à ce titre, il parcourt un territoire qui n’est pas seulement observé, mais aussi vécu corporellement.
Je ressens très intensément le paysage, je le contemple avec vénération et j'essaie d'entrer dans son mystère pour ressentir ce mouvement caché derrière la forme extérieure.
Quelle technique utilisez-vous, pourquoi le noir et blanc, pourquoi le noir et blanc très noir, pourquoi le flou ?
J’ai souvent pensé que Galerna est une étude des caractéristiques de la lumière dans mon contexte géographique. La recherche de cette lumière utérine, dense et intime est devenue une obsession pendant de nombreuses années et a généré une œuvre aux caractéristiques esthétiques très spécifiques. Je considère que cette atmosphère sombre reflète bien le sentiment de mystère que l’on ressent en entrant en soi.
Le choc des contraires était d’une importance capitale dans mon travail et la photographie en noir et blanc, avec sa lutte entre l’ombre et la lumière, m’aidait à souligner cette dualité. Au fil des années, j’ai découvert un moyen de transformer ce qui était autrefois un clash en un espace de rencontre, et la couleur est apparue.
Ces photos semblent-elles être prises de nuit ? Est-ce la réalité ou le résultat de votre travail de prise de vue ou de tirage ?
La photographie est généralement comprise comme un outil destiné à représenter la réalité mais, dans mon cas, j’utilise les images comme de petites portions d’une carte qui pose visuellement mes questions ou mes sensations dans un lieu et à un moment précis. Les photos sont prises de jour. Je n’essaie de travailler que lorsque les conditions de lumière me conviennent.
Galerna
Jon Cazenave (photographie)
Kirmen Uribe et Fannie Escoulen (auteurs)
Itxaro Borda (traduction)
Editions Xavier Barral Eds, 2020, 243 pages